Je marche. Je marche sur la longue et vaste étendue gelée du lac Mistassini. Usée par l’omniprésente intimidation, je laisse derrière mon visage sous la croûte glacée. Ne plus retourner à cette terre mythique maladroitement cousue de détresse, de rires naïfs et d’hostilité. Scruter l’horizon qui s’étend jusqu’à l’estompement de soi.

Seule face au silence qui exhibe ma tête cisaillée, l’envie de dépecer chacun de mes tourments me brûle de l’intérieur. Finesse et souplesse de la lame. Vider mes veines, en répandre le sang, faire fondre la glace des expériences meurtries.

Ma démarche s’alourdit. La déchéance parait toujours longue à ceux qui la regardent, mais submerge toujours trop vite ceux qui la subissent. Brefs et souffrants sont ces égarements qui font de chaque geste, de chaque parole, de chaque non-dit une lourde et longue marche.

Demain sera fait d’hier et aujourd’hui ne va nulle part. Le vent et ses bourrasques auront-ils raison de moi ou me porteront-ils jusqu’où la vie reprend son cours? Tout se mêle. Ma tête s’empâte. Comment réagir avec discernement alors que le vide me pousse vers le trou laissé par un pêcheur?

Sur ce lac nordique, le froid cuisant me rappelle pourtant que je suis en vie, qu’il faut avancer. Mais l’engourdissement me rattrape encore. Le vent me souffle de relever la tête, de redresser l’échine et d’avancer. Mais la poudrerie se lève et transforme en blizzard ma volonté échafaudée de neiges folles.

C’est alors que j’aperçois au loin ce que je crois être un loup solitaire. Je retiens mon souffle. Mon reptilien lance instantanément une alerte à tous mes sens. Hors de tout doute, je veux soudainement vivre! J’échafaude des plans à la vitesse de l’éclair. À peine trouvé, l’animal arrive à ma hauteur. C’est alors que j’aperçois une autre silhouette s’approcher, celle de son maitre. Ce que j’ai pris pour un loup est en fait un husky… Cette expérience inattendue me rappelle l’urgence de redescendre au Sud, l’importance de me retrouver parmi les miens. Je me vois déjà danser sur la grève et renouer avec la légèreté des sentiments. Cette perspective me nourrit d’espoir. La boussole déréglée de mon existence aurait-elle enfin retrouvé son Nord?

  1. Josée Lalumière

Extrait du livre L’art des fous

Ceci est de la littérature brute, non filtrée, extraite le plus souvent en première pression, à chaud. Pas toujours loin de la crise. Les textes sont authentiques, originaux et servis tels que reçus. Ils témoignent de la réalité intime des auteurs, qui ont entre 9 et 35 ans. Pour plusieurs, c’est une première expérience d’écriture qu’ils ont choisi de faire partager. Pour d’autres, c’est leurs failles intérieures et leurs doutes qu’ils exposent, alors même qu’ils les découvrent.

Le Carrefour Jeunesse Emploi Avignon Bonaventure a choisi de donner pleine liberté de parole aux jeunes, afin de leur permettre d’exprimer, dans leurs mots, ce qu’ils vivent, et comment ils vont. Ceci suppose quelques entorses aux convenances et à la linguistique. C’est un choix conscient.

Le résultat a le mérite d’être vrai. La santé mentale est un tabou social. Pourtant, tout le monde en a une. Chacun a droit à sa manière d’en parler. Prenez soin de la vôtre et de celle de vos proches.

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