les arbres se préparent à hiberner 
pis mon chummé, lui,
la tête sur l’oreiller, il compte son sujet
une douleur,
deux douleurs,
trois douleurs
ses nuits restent aussi blanches
que la neige à venir

novembre
changement de sujet
il compte encore

une peanut,
deux peanuts,
trois peanuts
à ce moment-là, ses nuits deviennent aussi noires
que le néant dans ses yeux

décembre
la poudre a englouti les rues
et cette nuit-là
il garde le sujet mais change de technique

une sniff,
deux sniff,
trois sniff
il finit par s’endormir

j’essaie de me réconforter
en me disant que la mort n’existe pas
je me dis : “et si en fait quand les gens choisissent de s’éteindre ici
c’est parce qu’ils choisissent un ailleurs, un genre d’univers parallèle
prêt à les accueillir
dans tout ce qu’ils sont vraiment
dans leurs failles,
leur tout-crochitude
pis leur dégaine décousue de personne à boute

mais si au moins les gens mouraient de la bonne façon
mais non, les gens meurent d’être morts trop souvent
pis y’en a qui sont là à dire que le monde devrait choisir la vie
mais j’vous jure, gang, que rester en vie
c’est un choix que certains doivent faire mille milliards de fois par jour
pis y suffit d’une fois,
une seule, un moment de désabusement profond,
d’écœurantite de toute,
un sentiment que ça va juste jamais être possible de se relever
pour qu’une personne choisisse pas la vie
même si c’est juste une fraction d’seconde
parce que c’t’en masse de temps pour sauter,
popper trop de pills
ou encore kicker une chaise
pis après ça, y’a toi qui reste

le premier matin qui suit la mort d’un proche
se déroule comme si tout était normal
jusqu’à notre première action de la journée, partir la cafetière,
faire son pipi du matin,
se faire cuire un œuf
pis quand nos cerveaux se rappellent enfin
ça pète pis on s’écroule sur le sol
en même temps qu’il s’dérobe sous nos pieds
faque on va chez la coiffeuse pour coper avec notre tristesse
pis on fait juste brailler sur sa chaise
pendant qu’on fixe au mur ses cadres live love laugh
pis on va à la pharmacie pour aller chercher
sa prescription de citalopram
on spot des agendas remplis de quotes
de recettes sur le bonheur
pis on voudrait juste une recette pour être capable
de respirer sans s’étouffer dans nos larmes
pis on va acheter du gin québécois pour boire à la santé des ami.es disparu.es
pis on s’dit qu’y trouveraient notre deuil crissement bourgeois
on les imagine nous faire un cheers
avec d’la pabst dans une coupe de vin
pis on finit par rire
pis on se sent mal de rire
alors que les ami.es sont mort.es
mais on s’dit que c’est ben toute c’qui nous reste

faque j’t’en supplie, t’sais la fraction de seconde dont j’te parlais.
à c’moment-là,
drette à la fraction de seconde à laquelle
ton cerveau décide de pas choisir la vie
ouvre ta fenêtre pis crie
appelle le 911 même si t’haïs les cops parce que ACAB
appelle un chum à qui t’as pas parlé depuis 10 ans
compose un numéro random
je sais qu’tu veux pas déranger ton monde pis les inquiéter
ou bedonc trouve une mini raison, aussi infime qu’a’ puisse être
pour te dire que t’es game de toffer une seconde de plus
pis une autre,
pis une autre
ou appelle-moi
viens cogner m’a être là
j’aurai peut-être pas les mots
mais j’te jure que les silences
accompagnés d’un flattage de cheveux
des fois ça vaut tout l’or du monde
pis même si j’te connais pas
je connais le sentiment de vide
je sais que ça demande un effort constant
de discerner en soi la nuance
entre la paix d’esprit et l’appel du néant
que c’est dans un grand respir qu’on comprend de quoi on s’emplit

avril,
les premiers bourgeons ont éclos pis mon chummé se réveille
il réalise qu’y’a manqué une saison
et il ne reste plus de lui qu’un cœur wrappé dans un paquet d’os
mais au moins y’émerge à temps
parce qu’avec les fleurs renaît la douceur
et je sais que le froid lui aura appris à pousser plus solide
mais va falloir que j’y annonce, que j’y dise : hey mon chummé,
pendant qu’tu dormais, y’en a une coupe qui se sont jamais réveillés
faque stp, appelle-moi la prochaine fois
on trouvera une recette
pour que tu meures pus tout l’temps.

- Sarah Khilaji

Extrait du livre L’art des fous

Ceci est de la littérature brute, non filtrée, extraite le plus souvent en première pression, à chaud. Pas toujours loin de la crise. Les textes sont authentiques, originaux et servis tels que reçus. Ils témoignent de la réalité intime des auteurs, qui ont entre 9 et 35 ans. Pour plusieurs, c’est une première expérience d’écriture qu’ils ont choisi de faire partager. Pour d’autres, c’est leurs failles intérieures et leurs doutes qu’ils exposent, alors même qu’ils les découvrent.

Le Carrefour Jeunesse Emploi Avignon Bonaventure a choisi de donner pleine liberté de parole aux jeunes, afin de leur permettre d’exprimer, dans leurs mots, ce qu’ils vivent, et comment ils vont. Ceci suppose quelques entorses aux convenances et à la linguistique. C’est un choix conscient.

Le résultat a le mérite d’être vrai. La santé mentale est un tabou social. Pourtant, tout le monde en a une. Chacun a droit à sa manière d’en parler. Prenez soin de la vôtre et de celle de vos proches.

Partager pour mieux aider !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.