Des étudiants du cégep John Abbott ont écrit sur la crise sanitaire de la Covid-19, dans le cadre d’un cours de français portant sur les médias. Plusieurs d’entre eux n’ont pas pu célébrer l’atteinte de la majorité en compagnie de leurs amis. En confinement, ils ont pris conscience des impacts de la pandémie dans la vie de tous. Un regard privilégié sur le quotidien des jeunes isolés depuis beaucoup trop longtemps.
Un texte de Tony Saliba | Dossier Coronavirus et Santé mentale
Le 13 mars, l’urgence sanitaire est déclarée au Québec. Ce jour-là, je travaille dans une pharmacie. À mon arrivée, déjà, une bonne portion de la nourriture que le magasin offrait a disparu, comme emportée par un coup de vent. Dans mon champ de vision, il y a des enfants qui pleurent et des parents anxieux. En temps normal, tout a l’air tellement organisé dans notre société, avec la routine, les règles, les lois, mais dès que se manifeste une vraie raison de paniquer – la Covid-19 –, qui concerne tout le monde, c’est chacun pour soi.
Le lendemain, je me rends au Centre hospitalier de l’Université de Montréal, où j’ai un autre boulot avec un neuropsychologue qui étudie le comportement des patients en phase terminale. C’est là que je rencontre Vanessa, étudiante du collège Vanier enthousiaste et appliquée, pleine de promesses.
Elle a fait une chute. Vanessa s’est réveillée au 19e étage de l’hôpital; elle transpire et est complètement déroutée par son environnement. En me regardant avec de grands yeux, elle me demande : « mais qu’est-ce qui s’est passé? » Je ne dis rien au début, puisque je n’en ai pas le droit, n’étant qu’un assistant. Le neuropsychologue vient la voir. Il lui apprend qu’elle souffre d’un type de cancer qui s’appelle glioblastome multiforme ou glioblastome. C’est un cancer virulent du cerveau, qui, en moins d’un an, entraîne la mort de ceux qu’il afflige.
Après avoir entendu de longs pleurs, qui hantent encore mon esprit, je quitte la chambre. Je croise un homme gris de peur, au visage couvert de larmes coulant à l’infini; il entre dans la même chambre dont je sors à peine. C’est son père.
Au début, ses parents étaient là chaque jour. Se rendre voir leur fille à l’hôpital avait vite fait partie de leur routine. Quelques semaines plus tard, je ne les ai plus vus, à cause des heures de visites très limitées imposées par la propagation du virus dans la province. Vanessa s’est retrouvée complètement seule, sans aucun visage familier pour la réconforter. Elle suivait ses cours en ligne, elle étudiait dans son lit, malgré tout; elle parlait au téléphone, elle riait aux blagues entendues à la télévision, comme si elle n’était pas au courant de sa situation.
Chaque fois que j’entrais dans sa chambre, je lui demandais : « Comment te sens-tu? » Elle me répondait toujours la même chose : « bien. » Toujours bien. Elle était contente de participer, en classe, même si c’était en ligne. Moi qui m’emmerde à rester devant un ordinateur pendant des heures, cela me bouleversait de la voir, elle, heureuse de communiquer même à l’écran, imperturbable.
Après quelques mois, en passant devant sa chambre, je la vois pleurer. J’entre. Elle me dit, avant même que j’aie le temps de m’assoir: « C’est pas juste. Pourquoi n’ai-je pas le droit d’avoir mes parents dans la chambre, pendant la nuit? Pourquoi est-ce pendant une satanée pandémie que je dois souffrir comme ça? Je ne peux pas sortir de mon lit, je ne peux pas voir mes amis, je ne peux pas vivre une vie normale, je n’ai même pas une santé normale! » Elle criait ces phrases-là à répétition. Moi, avec mon masque, ma visière, mes lunettes protectrices, mes gants et ma veste d’hôpital, je la regarde et lui dis que les choses sont plus sérieuses maintenant en ce qui a trait au virus et aux nouvelles règles de l’hôpital. Elle me répond : « Les nouvelles règles me font souffrir. Les seules personnes que je vois sont le personnel médical. Je ne veux pas mourir toute seule! Voir mes parents pendant quelques heures, ce n’est pas assez pour moi, je les veux à mes côtés. »
La dernière fois que j’ai parlé à Vanessa, c’était en novembre. J’espère que ses parents ont pu l’accompagner jusqu’à la fin.
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