Un texte de Mélodie Nelson | Dossier Agression sexuelle
Les victimes d’agressions sexuelles sont toutes uniques. Si elles ne sont pas que des victimes, il est cependant impossible de nier l’importance du trauma et de ses conséquences dans leur vie. Reflet de Société a décidé de donner la parole à des survivants et des survivantes de violences sexuelles.
« Mon père encourageait mon frère à me violer » – Judith*, 52 ans
Judith a subi l’inceste pendant son enfance. Elle n’en parle pas dans ces termes. Elle ne sera jamais capable d’en parler, selon elle, parce qu’elle ne veut pas se rappeler. « Mon père et mon frère me faisaient des choses pas correctes. Mon père encourageait mon frère. » Elle suppose que sa mère savait. Elle ne lui en veut pas. « Elle a eu une vie difficile. Elle était absente, pas physiquement, mais dans la maison, dans sa tête. Elle était comme un fantôme. Dans mes souvenirs, ma mère flotte près de moi, mais elle n’est pas vraiment là. Elle préparait mes repas. J’avais toujours des vêtements propres. Elle faisait le nécessaire, mais elle ne me prenait pas dans ses bras. »
Pour s’évader, elle s’est inscrite à des activités d’athlétisme, à des compétitions de natation et à des leçons de ballet. Elle a gardé ses premières et ses dernières pointes. La performance l’aidait à croire en elle. Jusqu’à 17 ans, son corps n’a pas faibli, poussé au bout de lui-même pour le sport, mais aussi inlassablement cassé, à la maison. « Tout est devenu trop difficile à supporter. »
En prétextant ses études, elle a déménagé, seule. Elle aurait voulu avoir des enfants, mais elle s’est butée aux refus et aux limites de son corps. Elle a un chat, promène les chiens de ses voisines, cuisine pour les enfants qu’elle a appris à connaître, dans son quartier. À 52 ans, Judith travaille depuis plus de vingt ans dans un organisme qui vient en aide aux enfants maltraités.
Quand elle ne se trouve pas au boulot, elle est dans un magasin de bonbons ou à l’hôpital. Elle n’a jamais eu de diagnostic clair pour des douleurs qui, souvent, l’empêchent de dormir. « Je pense que ça a un lien avec mon enfance. Je serai toujours malade et il y a beaucoup de femmes comme moi. On porte dans notre corps ce qu’on nous a fait. Ça reste avec nous, toujours. »
« J’ai été agressé par la mère d’un ami » – Jean-Philippe*, 34 ans
« Je ne l’ai jamais dit », explique Jean-Philippe. En fait, il l’a dit une fois, à son grand frère, puis, après, il n’en a plus jamais parlé à personne. Quand Jean-Philippe avait douze ans, la mère d’un ami l’a agressé sexuellement. « Je n’ai pas réagi. J’étais à la salle de bain. Elle m’avait suivi. J’ai figé. » Il a prétexté ensuite qu’il ne se sentait pas bien et est parti chez lui. « Je ne suis pas retourné chez mon ami. On se connaissait depuis longtemps. Je me suis trouvé des excuses, que j’aimais plus les jeux vidéo et le soccer. »
Quand il en a parlé à son frère, ce dernier l’a trouvé chanceux. « Dans sa tête, je lui racontais quelque chose de vraiment cool. » Jean-Philippe a développé des troubles alimentaires, qu’il lie à cette agression. Il mangeait beaucoup, sans arrêt, mais sans appétit. Il a voulu suivre une thérapie, a cherché de l’aide, mais il se croyait incapable de tout dire, de tout répéter. Il sait que les CALACS existent, mais il ne sait pas comment il serait reçu, en tant qu’homme victime d’abus de la part d’une femme.
« Mon mari ne sait pas, ma famille non plus. » – Samira*, 31 ans
Samira n’a embrassé avec passion qu’un seul homme dans sa vie : son mari. « Je ne me souviens pas d’avoir parlé de sexualité avec ma mère. J’allais sur des sites internet pour discuter avec des gars de mon âge. Ça ne pouvait pas arriver autrement. » Samira a grandi en Arabie Saoudite et aux États-Unis, où elle étudiait dans un pensionnat pour filles.
Loin de ses parents, avec un sentiment de liberté qu’elle n’avait pas ressenti auparavant, elle faisait la fête avec ses copines. Lors d’une soirée, un étudiant a tenté de la séduire. « J’étais flattée, mais je n’étais pas ouverte à quoi que ce soit. J’étais curieuse, oui, mais j’étais aussi décidée à ne rien connaître avant mon mariage. » Elle ne refuse pas qu’il la reconduise chez les parents d’une amie, qui l’hébergeait quelques jours. « Je sentais qu’il y avait un malaise, mais je ne pouvais pas dire non. Je ne voulais pas avoir l’air impolie ou désagréable. » L’étudiant l’a agressée. Elle s’est ensuite éloignée peu à peu de ses copines, se réfugiant dans ses livres. Elle a déménagé au Canada pour terminer ses études en médecine.
Quand Samira a eu ses premières expériences avec son mari, elle croyait normal d’avoir mal. Elle pensait que toutes les relations sexuelles ne lui procureraient que de la douleur. « Je sens qu’on m’a volé quelque chose qui peut être magnifique. » Elle était surprise de ne pas devoir s’absenter mentalement lors de l’acte, de pouvoir être présente et y participer. Son mari ne sait pas; sa famille non plus. « Ils ne comprendraient pas. »
Elle trouve brave les personnes qui dénoncent, mais ces témoignages la ramènent à sa propre expérience de violence sexuelle. « C’est dur. Je suis affectée, mais je dois faire semblant que tout est normal, que je ne me sens pas interpellée par ce qui se passe, chaque fois que des noms et des histoires sortent dans les journaux, à la télé. »
« Je me suis sentie jugée, parce que j’avais bu » – Éléonore*, 23 ans
Éléonore a grandi à Montréal. Elle connait les plus belles ruelles vertes, les raccourcis, les pistes cyclables. « Ma mère m’a élevée pour que j’aie peur de rien et que j’aie assez confiance en moi pour penser que je pouvais tout faire. » Sa mère, c’est la personne qu’elle admire le plus. « Elle est retournée aux études après m’avoir eue. Je me faisais garder par ma grand-mère. Je suis fière de tout ce qu’elle a réussi. »
À 17 ans, l’été, après une soirée chez une amie, elle revient chez elle, intoxiquée. L’adolescente passe par les ruelles qu’elle connaît par cœur. Entre la maison de son amie et chez elle, il y a dix minutes. « Peut-être que ça paraissait, que j’avais trop bu. » Un homme l’a attrapée par-derrière. « Je n’ai rien entendu, rien soupçonné. » Elle sait qu’elle est tombée, qu’elle s’est défendue. « J’ai peut-être donné des coups dans le vide. Il m’a violée. Ça n’a pas duré longtemps. »
Éléonore réussit à se rendre chez elle, étourdie. Le lendemain, elle raconte tout à sa mère. « Elle m’a convaincue de porter plainte. Elle était en mode action. Elle ne voulait pas que ça se reproduise. Elle voulait aussi que je sois rassurée. » À la station de police de son quartier, la rencontre ne se passe pas bien. « Ma mère n’avait pas le droit de m’accompagner. Je me suis sentie jugée, parce que j’avais bu et que je n’avais pas dix-huit ans. Le policier m’a rappelé que c’était imprudent, prendre des chemins mal éclairés. J’aurais dû rester chez mon amie. Ou ne pas boire. Ou ne pas être qui je suis. »
Il n’y a pas eu de suite à sa plainte. « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit comme dans un film : qu’on arrête mon violeur et qu’il disparaisse de ma vie. Mais j’ai eu le sentiment d’avoir peu de valeur aux yeux de la justice. » Ce qui la trouble aussi beaucoup, c’est sa mère. « J’ai entendu une conversation téléphonique entre elle et une de ses amies. Elle pleurait. Elle rageait pour moi. »
« J’en ai voulu à mes seins, à mes hanches, à mon corps. » – Chanel*, 38 ans
La famille de Chanel est traversée par la violence. Sa grand-mère a fait de la prison, en France, parce qu’elle a tué son grand-père. En tirant maladroitement au plafond, la balle a ricoché et blessé mortellement la personne qui l’agressait physiquement, elle, et peut-être ses filles aussi. Chanel n’a jamais su toute l’histoire : la famille en est restée meurtrie et brisée. Chanel a connu sa grand-mère à sa sortie de prison. « Elle a réussi à se donner une autre vie, à se reconstruire, à devenir quelqu’un. » Elle l’admire. Elle en parle en lui donnant des surnoms doux.
Quand elle commençait à montrer les signes du passage vers l’âge adulte, un ami de son père l’a agressée sexuellement. « J’en ai voulu à mes seins, à mes hanches, à mon corps. J’avais envie de disparaître. » Plutôt que de ne plus exister, Chanel en a voulu aux hommes qui avaient un profil semblable à celui de son agresseur. « Je déteste les hommes. J’aime mon chien. J’aime mon mari. Je crois qu’il est un bon gars. Je crois qu’il est une exception. »
Elle n’arrive toujours pas à aimer son corps. « Je me regarde dans le miroir et je le sais, que je suis belle, mais ça m’a causé trop de torts, d’être comme je suis. » Elle a deux sœurs. « J’étais soulagée quand j’ai vu qu’elles n’étaient pas comme moi. » L’une d’elle est très maigre, sans formes. L’autre, en rébellion contre tous les standards physiques, qu’elle juge avilissants. Chanel ne veut pas d’enfant. « J’aurais trop peur que ce soit une fille. »
« Les hommes protègeront toujours les hommes. » – Gisele*, 26 ans
Gisele est masseuse dans un salon de massages érotiques, à Montréal. « J’ai fait plusieurs places. Dans un de ces salons, je travaillais avec deux de mes amies. Je me sentais comme chez moi, à prendre un café avec elles, à chiller dans le spa. On arrêtait pour recevoir un client et on reprenait notre conversation. On se racontait qui avait refusé l’huile parce qu’elle pue trop et qui nous avait demandées en mariage. »
Une fois, ce n’est pas une demande en mariage que Gisele a reçue. « Un client est allé trop loin. Ça arrive souvent, les clients qui se croient irrésistibles. Ils pensent que pour eux, on va accepter tout, qu’ils pourront nous faire ce qu’ils veulent. Ils disent qu’ils se soucient tellement de notre plaisir. Évidemment, c’est leur gros pénis qui peut nous donner tellement de plaisir, pas un gros pourboire. Ce serait trop simple. »
Le client l’a contrainte, violemment. Secouée, Gisele a prévenu tout de suite le gérant du salon. « Il m’a dit que je pouvais prendre congé pour le reste de la journée et que je n’aurais plus jamais ce client. » Sauf que l’agresseur pourrait toujours continuer à se rendre au salon, mais pour faire appel à d’autres masseuses qu’elle. « C’est un client depuis longtemps. Il est plus important que ma sécurité et celle des autres filles. »
Gisele a quitté le salon. Une de ses amies l’a suivie. Elles ont trouvé un autre endroit où travailler. « Les hommes protègeront toujours les hommes. Je ne fais confiance à aucun d’entre eux. » Elle n’a pas pensé à porter plainte à la police. « Ça ne sert à rien. Mon ancien patron ne dirait pas le nom du client. Je mettrais juste la police dans les jambes des autres filles qui travaillent encore là. Elles n’ont pas besoin de ça. »
« J’étais moins importante que les secrets de famille. » – Vanille*, 34 ans
« Ce n’est pas pour tout le monde, le système de justice. » Vanille conçoit que ça puisse être très difficile d’y croire. « Je ne le conseille pas tout le temps. Il y a d’autres avenues, comme la médiation. Ou poursuivre, mais au civil plutôt qu’au criminel. »
Quand elle était enfant, son cousin, âgé d’un an de plus, inventait des jeux comme la cachette pour l’agresser sexuellement. « Je suis certaine que ça se savait. J’ai d’autres cousines. Il a une sœur. » Elle s’est finalement plainte à la police, grâce à l’aide d’une amie de sa famille. Toutes les deux ont été conspuées, rejetées, ensuite détestées. « Ça aurait été plus facile pour la famille de ne rien savoir. J’étais moins importante que les chicanes ou les secrets de famille. » Même si le cousin s’est déclaré coupable, c’est Vanille qui se sent, depuis, comme la condamnée, sans remise de peine possible. « Mon cousin s’en sort bien, puisqu’il était mineur au moment des faits. Il peut cacher ce qu’il m’a fait. »
Son agresseur a une famille, maintenant, contrairement à Vanille qui est abonnée « aux relations de merde. » Elle a été en couple avec plusieurs hommes pour qui elle ne semblait pas compter. « J’en ai eu assez. Je suis allée consulter. D’abord, je pensais que c’était moi, le problème, que j’étais défectueuse. Je suis tombée en amour avec mon psy. J’ai changé de psy. » Elle a aussi tenté de voir plus loin que les modèles de relation qu’elle connaissait. La trentenaire se définit maintenant comme bisexuelle. Célibataire, elle croit que c’est possible qu’elle puisse être bien, un jour, sans se diminuer et sans se soumettre à des jeux auxquels elle ne veut pas participer.
* À noter que les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des victimes.
La ligne ressource pour les victimes d’agressions sexuelles au Québec est le 1 888 933-9007 ou le 514 933-9007 pour la région de Montréal.
Survivre est soutenu par le Fonds d’urgence pour l’appui communautaire, du gouvernement du Canada et par la Fondation du Grand Montréal.
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Ressources sur le suicide
- Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Les CLSC peuvent aussi vous aider.
- Canada: Service de prévention du suicide du Canada 833-456-4566
- France Infosuicide 01 45 39 40 00 SOS Suicide: 0 825 120 364 SOS Amitié: 0 820 066 056
- Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.
- Suisse: Stop Suicide
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Funbusy
Chantal Lee a grandi dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal.
Elle s’est découvert une passion pour l’écriture dès son jeune âge, mais ce n’est que depuis 2001 qu’elle écrit sur une base régulière.
Violence, drogue, faible estime de soi et abus sexuels ont trop longtemps fait partie de la vie de cette femme courageuse. Chantal Lee a réussi à reprendre le dessus et malgré la grave maladie qui l’afflige depuis quelques années, elle partage par le biais de son premier recueil de poésie son inconditionnel amour de la vie.
Prix : 9,95$