En maniant le pinceau, la caméra ou encore la plume, des personnes marginalisées se découvrent des forces et des passions insoupçonnées et retrouvent à la fois confiance et goût du rêve. En prison, dans la rue, dans les centres jeunesse et les résidences intermédiaires, l’art peut faire jaillir l’étincelle d’un nouveau départ.
Un texte de Anne-Frederique Hebert-Dolbec | Dossier Santé mentale
En 2009, à la suite d’un séjour en prison, Geneviève Fortin réside temporairement à la Maison de transition Thérèse-Casgrain, à Montréal. Attirée par l’art et la photographie, elle participe chaque semaine à des ateliers artistiques, « pour passer le temps ».
Dotée d’une créativité évidente, Geneviève ne tarde pas à tomber dans l’œil des intervenants. Rapidement, on lui propose de prendre part à Agir par l’imaginaire, un projet d’exposition organisé par la Société Elizabeth Fry du Québec, impliquant autant des femmes judiciarisées que des artistes professionnels.
L’objectif? Permettre aux femmes de vivre une expérience de travail positive, de témoigner de leur expérience et faire réfléchir le public aux inégalités et à la criminalisation qu’entraîne la pauvreté. « Je n’ai pas hésité une seconde », se souvient-elle.
Pendant plus de six mois, Geneviève participe à des ateliers de création et à des formations multidisciplinaires, imagine et peaufine son projet photo et se prépare à exposer ses œuvres. Peu à peu, elle gagne en confiance, découvre ses forces et ses faiblesses et, surtout, parvient à maintenir sa motivation.
« Pour la première fois, j’ai compris que j’étais capable de terminer ce que j’entreprenais. Avant, mon parcours atypique m’avait souvent amenée à abandonner ou à échouer. Au-delà de la fierté d’avoir réussi, le projet a déclenché tout un processus de réflexion sur tout ce qu’il m’était possible d’accomplir. Ça m’a poussée à entreprendre des démarches concrètes, à bâtir un plan de vie et à retourner sur les bancs d’école. »
Se voir sous un nouveau jour
Pour les intervenants qui œuvrent sur le terrain, l’efficacité de l’art comme outil de réhabilitation sociale ne fait aucun doute. La Société Elizabeth Fry a même fait le pari d’établir un contrat de travail et de payer les participantes aux projets, afin de leur offrir une véritable expérience de pré-employabilité.
« En mettant à profit leur imaginaire, leur chemin de vie et leur esprit critique, les femmes acquièrent de nouvelles compétences et se découvrent des forces qu’elles ne soupçonnaient pas toujours, indique Anne-Céline Genevois, agente de développement à la Société et coordinatrice du collectif Art Entr’Elles. Elles apprennent à travailler en équipe et sous pression, à exploiter leur leadership et à résoudre des conflits. Surtout, les projets leur permettent de changer le regard qu’elles portent sur elles-mêmes. »
Pour sa part, Geneviève n’hésite pas à dire qu’Agir par l’imaginaire a changé sa vie. Lorsque le projet prend fin, en 2011, elle est déterminée à faire partager son vécu et son expertise afin que d’autres puissent connaître une telle révélation. La même année, elle cofonde, avec une ancienne détenue, le collectif Art Entr’Elles, qui se veut une continuité du précédent projet instauré à la maison de transition.
Depuis, huit projets artistiques ont vu le jour et ont été présentés au public, parmi lesquels Donner une deuxième chance, une exposition d’art visuel basée sur l’utilisation de matériaux recyclés, ainsi que Dénombrement, une installation vidéo documentaire qui propose aux spectateurs d’expérimenter la lenteur d’un quotidien en cellule et l’expérience anxiogène du retour dans la communauté.
« C’est vraiment gratifiant de partager un tel travail avec le public, raconte Sylvie Lanthier, artiste communautaire qui a pris part à ce dernier projet, notamment présenté au Musée Pop de Trois-Rivières. C’est important de déstigmatiser l’incarcération, et de montrer que nous sommes des artistes à part entière. Dénombrement m’a surtout appris à reconnaître mes forces. Vous savez, quand on dit à un enfant qu’il est bon en dessin, il va s’accrocher et continuer. C’est la même chose pour les adultes. Art Entr’elles donne aux femmes la capacité de croire en elles. »
Reprendre goût à la vie
L’art engendre également de petits miracles pour une tout autre clientèle : celle des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale.
La vie de Raphaël Roy Dumont, 39 ans, n’a pas été de tout repos. Après un premier épisode psychotique, à la fin de l’adolescence, il reçoit un diagnostic de schizophrénie. Les années qui ont suivi se sont avérées très difficiles. Itinérance, dépendance, idées noires, rechutes et tentatives de suicide ont parsemé son quotidien pendant plus de 13 ans.
Aujourd’hui, Raphaël va mieux. Il habite une résidence intermédiaire dans sa ville natale, Bonaventure, où il est entouré d’une multitude d’intervenants qui l’aident à se remettre sur pieds, à planifier ses dépenses et à mieux contrôler ses impulsions. Amoureux des mots et de poésie, le Gaspésien a entamé, peu avant la pandémie, des ateliers d’écriture en compagnie de Bilbo Cyr, agent de projet au Carrefour jeunesse-emploi Avignon-Bonaventure.
« L’écriture m’a sauvé la vie, soutient-il. Lors des périodes plus difficiles, j’ai écrit plus de 300 poèmes. Ils m’ont aidé à tenir le phare, à trouver un peu de lumière au cœur des jours sombres. Ça me rend fier aussi, parce que je sens que mon talent est reconnu par mes pairs. »
Revendiquer son histoire
Bilbo Cyr lui a même demandé de raconter son histoire, et de contribuer à un projet de recueil de poésie sur la diversité des expériences en santé mentale. « Il m’a envoyé un texte par jour pendant tout l’automne. J’ai vécu son cheminement presque d’heure en heure. Comme intervenant, ça me donne une compréhension unique de ce qu’il vit. »
Pour l’agent de projet, le slam est un outil extraordinaire pour rejoindre les jeunes, accéder à leur réalité et leurs aspirations et leur donner envie de persévérer et de s’accrocher à la vie. « Quand on leur donne la parole et qu’on s’engage à ne pas les censurer, on leur permet de travailler à partir de leurs émotions et de prendre un certain pouvoir sur leur vie. Les gens qui ont des problèmes de santé mentale sont souvent marginalisés. L’écriture est un moyen pour eux de s’affirmer, de définir leur identité et de mieux exprimer et revendiquer une histoire qui est souvent lourde à porter.
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